HOPE - L’Art au service de la lumière

Credit: Marion Dessard

Ce dimanche, dans le cadre de nos publications Hope, nous donnons la parole à Eric Chenal, artiste – photographe

Partage.lu : Quelle est ta démarche, ton approche dans la photographie ?

 

Un bref historique s’impose (rires). Avant d'entrer en photographie à l’aube de la quarantaine, j’ai exercé des postes de responsable commercial dans différentes sociétés de services. A l’époque, Mike Koedinger, un ami éditeur indépendant m’a proposé de participer au développement de son agence photographique naissante car il connaissait ma passion pour l’image éditoriale. Pour mieux appréhender les prestations dont j’assurais la promotion, je suis venu à participer à des séances de photographie événementielle, le portrait et le reportage ont suivi naturellement et principalement pour Paperjam. J’ai travaillé pour Blitz pendant une dizaine d’années avant que le besoin d’expression personnelle se manifeste avec insistance. Danielle Igniti a soutenu ce premier élan en me proposant la galerie Nei Liicht, nouvelle lumière, ça ne s’invente pas (rires). « L’esprit du lieu » une des séries exposées présentait l’église Saint Maximin de Thionville en cours de rénovation. Visuellement, la pauvreté, la vulnérabilité de l’édifice contrastait avec l’image écrasante vécue dans mon enfance. La fragilité magnifiée dans le clair/obscur me touchait profondément.edl001 1600x1000 Qu’est-ce que le bâti donne à voir lorsque sa fonctionnalité est suspendue ? m’interroge à nouveau lorsque j’approche des espaces d’art contemporain en l’absence d’œuvres d’art. Ce projet « white inside » montré au Casino Luxembourg dans le cadre du Mois Européen de la Photographie en 2013 provoque la rencontre avec Gilles Zeimet, qui me propose avec Gosia Nowara de suivre les travaux d’extension du Musée National d’Histoire et d’Art de Luxembourg. Le repérage de l’aile Wiltheim ne m’inspire pas et m’engage à me laisser traverser par le lieu plutôt que d’essayer de le conquérir. Quelques mois après le début du suivi de chantier, je trouve par hasard - le hasard ? c’est Dieu qui se promène incognito - en librairie « L’espace intérieur » de Jean-Louis Chrétien qui éclaire mon attrait pour l’architecture en transition. Avec cet ouvrage, j’apprends que l’expérience du cheminement intérieur peut-être partagée dans la représentation d’un espace à la fois à construire et à découvrir. Cette révélation a été vécue dans une certaine tension car à mesure que je gagnais en audience artistique, je perdais en crédibilité commerciale. Actuellement, un point d’équilibre fragile a été trouvé entre l’expression personnelle et le travail de commande notamment à travers la transformation du patrimoine. Je termine par exemple le suivi de chantier du stade national, je photographie l’aménagement de la Villa Pétrusse et je documente la construction prochaine de la plus grande piste cyclable suspendue d’Europe entre Belval et Esch-sur-Alzette. 

 

Partage.lu : Pour toi, y a-t-il un lien entre l’Art et la spiritualité. Quel est le rôle de lArt ? Peut-il aider à entrevoir et à construire un monde meilleur ?

 

En Occident, nous vivons dans une société tiraillée entre le corps et l’âme, quelle place pour l’Esprit ? La quête spirituelle c’est d’être libre de l’avoir, une voie du désencombrement, d’émergence. Avons-nous vraiment besoin de tout ce que nous accumulons au quotidien ? Le confinement m’a permis de trier les textes passionnants que je gardais pour ne retenir que ceux que je pouvais expérimenter. Dans le domaine de l’art, il y a plusieurs dimensions ; celle qui m’attire tend à intégrer plutôt que dénoncer, cherche à élever l’homme. L’Art majuscule tend vers l’indicible, l’illimité. Et pour répondre à la question de l’interconnexion entre la spiritualité et l’art ; je dirais qu’un(e) chercheur (se) spirituel(le) doit être à la fois être un(e) scientifique, car il/elle doit observer rigoureusement ce qui se révèle au plus intime de l’intime et il/elle doit être artiste, pour partager le ressenti d’infini en soi. L’exemple qui se présente spontanément est celui de Fra Angelico peintre dominicain de la renaissance italienne qui à œuvrer à annoncer ce qu'il avait contemplé. En ce qui me concerne, la pratique artistique reste tiraillée entre le désir de servir le mystère et le besoin de reconnaissance. Cette tension ne peut être niée car elle m’oblige à la vigilance, elle est l’occasion sans cesse renouvelée de polir l’intention d’offrir des images points d’appui à la Présence. Je dois préciser qu’il me semble que cette démarche est aussi rattachée à une tradition ; si adolescent, j’étais plus intéressé par des spiritualités orientales, contre toute attente, je m’éprouve aujourd’hui comme catholique. Ce sont les symboles des profondeurs oubliées du christianisme qui inspirent mon regard, au croisement de la verticale et de l’horizontale. L’ancrage dans la terre est tout aussi important que l’aspiration vers le ciel.

2Nous sommes des êtres limités, et dans le même temps il y a cette part d’infini, de divin en nous. Quand le Christ annonce : « Le Royaume de Dieu est au-dedans de nous », il ne s’agit pas d'un paradis post mortem, c’est maintenant, ici ! Je suis convaincu que certaines images peuvent être un rappel de cette évidence qui doit être entretenu. Raison pour laquelle, je privilégie actuellement, l’impression en petit format afin d’inviter le rapport de proximité avec le motif. La réduction des dimensions du tirage facilite aussi de manière concrète le rangement, car il me semble important que la puissance énergétique du visuel (sa force évocatrice) puisse être préservée en évitant une exposition prolongée. Le monde meilleur à entrevoir ? La bonne nouvelle c’est qu’il est au dedans de nous. Je suis bien placé comme observateur d’un environnement privilégié pour me rendre à cette évidence, l’accumulation de bien matériels ou de pensées intelligentes, pour le dire autrement la quête du pouvoir sous toutes ses formes ne peut répondre à cette nécessité absolue de liberté et de paix.

L’Art peut nous inviter à retourner vers le silence et la gratitude. Rien ne nous appartient en réalité ! Dans le cadre d’une participation au kiosk initiée par Lucien Kayser (Association Internationale des Critiques D’art) j’ai découvert avec l’étude de l’historien Georges Didi-Huberman que certaines zones de la Madone des Ombres de Fra Angelico sont destinées à susciter en notre mémoire le plus profond mystère. Voilà ce que j’appelle retour au silence, à cet état de « je ne sais pas ».

L’artiste est un intercesseur vigilant, son ouvrage est laborieux car il doit discriminer ce qui est de l’ordre du connu et ce qui relève de l’inconnu, du grand large… Pour finir, j’aimerai citer Sylvie Germain, écrivaine qui rappelle qu’il serait plus juste de dire de tout grand peintre qu'il est un disciple de la lumière, « Il y a de la grandeur, une grandeur vivace, en expansion aussi discrète que continue, dans la vocation de disciple ».

Eric Chenal

ericchenal.com

https://player.vimeo.com/video/361334223

 

 

 

« Nous faisons notre métier non pas pour convaincre de notre droit à raconter ce que nous racontons que pour démontrer notre volonté de servir.

L’art doit être là pour rappeler à l’homme qu’il est un être spirituel, qu’il fait partie d’un esprit infiniment grand, auquel en fin de compte, il retourne.

L’artiste doit ainsi sacrifier son existence à sa vocation, il est un serviteur, éternellement redevable du don qu’il a reçu comme par miracle, et à ce titre, il doit communiquer aux spectateurs, la foi et l’espérance qui l’animent »

Andreï Tarkovski

 


vertical 2021 

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